Il est mon ange gardien, mon sémaphore
Ses doigts pianotent ma vie, accompagnent mon corps, mon âme
Sur mes lignes courbes dessinent une étoile, un désespoir
Ses mélodies pansent les mots dits, les mots écrits qui font mal

Il est un génie sorti de je ne sais quelle lampe
Il est noir comme un espoir et son cœur est charbon
Il attise l'incendie qui brûle ma prison
Rallume les feux de la rampe.

Ce messager qui s'exprime à un demi ton près
A le pouvoir renversant d'être tout près de moi, encore,
Impalpable, authentique et ne cessant d'éclore
Ritournelles alambiquées désarmant mes secrets

Un pianiste sentinelle, un berger de mes nuits
Guetteur de mes étincelles, guichetier de ma vie
C'est mon pâtre existentiel, à ma lame, un étui
Ma sève de poésie.

Mais ne soyez pas jaloux
Vous n'êtes encore qu'un enfant
Un jeune coq, un conquérant, triomphant

Il est mon ange gardien, mon sémaphore
Ses doigts pianotent ma vie, remède à mon chagrin
Sur mes lignes courbes, elles tracent un refrain
Posent sur les cordes raides de la portée, un accord.

Sur la gauche, après quelques pas,
Vous entrez dans la véranda
Un climat tropical vous délasse
Un sublime oranger
Dont les fleurs vous enivrent
Vous délivre sa fragrance
Tenace

Puis à droite, la bibliothèque
Aux rayons chargés de mémoires
Qu'on effeuille pas à page, délicatesse
On y cherche une dédicace
On y trouve un drôle d'auteur grec
Que l'on dévore sur place
Sans illustration ou avec.

Continuons, ici le studio
J'y exerce (avec brio) mes talents d'actrice
Je m'y adonne à tous mes caprices
Dans un angle, une psyché
Ma complice, ma fidèle
Qui jamais ne me flatte
La cruelle

Tout en haut du grand escalier
Le donjon où vit en ermite
Le pianiste, dont le boléro donne
Le rythme à cette visite
Mais redescendons au premier
Dont le couloir mène
Au terrier de la patronne.

Entrons donc tous deux dans ma chambre
Le tabac blond et l'ennui
Sont les parfums de novembre ou de désert
Qui survivent à la nuit.
Couchons nous sur le lit
Comme deux enfants sous la lune...
...Brune, aimons-nous avec grâce
La folle audace !
Si nous faisions l'amour
Nulle menace, nulle entrave,
La vie court...

Prenons l'escalier de service
Descendons jusqu'à la kitchnette
Un souper, une dînette, un sandwich
Sur la table, quelques fruits
Belles de nuit en bouquet, un biscuit non entamé
Un trait de lune transperçant deux épais nuages
Rend à cette scène un hommage
Comme une toile du génie Caravage
Votre contour, la pénombre, sur vos prunelles, une ombre.